Didier Goupil: La fin d'une révolution. Ingrid Reichel

 

 

 

 

Didier Goupil
LA FIN D’UNE RÉVOLUTION

 

Pour la traduction allemande de son livre «Castro est mort!» (éditions du Rocher, 2007) l’auteur Didier Goupil a fait une tournée en Allemagne et en Autriche. Elle a pris sa fin à Vienne dans la librairie tempo nuevo, Taborstraße avec une lecture franco-allemande avec l’écrivain et Ines Schütz, la traductrice de son roman. Ingrid Reichel a parlé avec ce français sympathique avant que la soirée ait commencé. Ils ont discuté de critiques, de clichés, du fait d’être emprisonné et de sa théorie que les livres devraient être plus minces que leur contenu. La critique du livre a été publié dans la magazine littéraire etcetera nr. 36/ Sprung.
A lire
içi: L'interview en allemand.

 

 

 

 

 

 

 

 

Vous avez eu de bonnes critiques françaises?

Françaises? Oui.

Vous connaissez les allemandes?

Un petit peu …

Elles étaient bonnes?

Elles viennent juste de sortir. J’ai lu essentiellement les critiques sur Amazon en particulier et il y a des choses intéressantes.

Moi, j’ai fait mes petits devoirs, en cherchant sur Internet et j’y ai trouvé surtout des critiques peu favorables.

Ah, c’est possible. Moi j’ai lu de bonnes critiques. Le petit reproche qu’il y avait c’est qu’il n’y a pas de lexique espagnol. C’est vrai, qu’on n’y avait pas pensé, aussi, parce que les mots espagnols sont intégrés dans la langue française.

Les critiques allemandes vous reprochent un manque de politique en face d’un trop en histoire.

(Il rit) … Mais, qu’est ce qu’il leur faut?

Trop superficiel, ils disent.

Chacun est libre de penser. Moi, je ne trouve pas. Le principe du livre est un récit roman.

Je suis allé trois fois à Cuba dans des conditions très particulières, c’est à dire en étant hébergé par des cubains et par des français qui vivent à Cuba depuis extrêmement longtemps, en même temps j’ai découvert une grande partie tout seul et que le but du jeu était de présenter un livre qui au fur et à mesure gratte un peu la façade, pour voir un peu ce qu’il y a derrière.

Votre opinion envers Cuba a-t-elle changé après vos voyages?

Jamais j’avais pensé aller à Cuba, donc ce n’était pas un désir, ce n’était pas un souhait, ce n’était pas un rêve. J’étais invité. J’y suis allé un peu par hasard. Je n’avais pas d’opinion précise avant de partir.

Il y a un Cuba extrêmement enchanteur, dans la beauté des ruines, dans la beauté tropical du pays, les gens, la musique, dans la beauté de tout ce qui fait tropique … les perroquets, les fruits, les couleurs, l’architecture espagnole mélangée avec l’architecture déjà un peu jungle. Cela est extrêmement saisissant. Et puis il y a un Cuba dégradé, un Cuba où les gens sont quand même un peu interdits de penser, de parler, de s’exprimer et d’entreprendre individuellement des choses. Donc c’est un mélange de ces deux Cubas là.

Mais en fait, ce sont des clichés …

Non! C’est la réalité. Le cliché n’est pas forcément la non-réalité. Le cliché est la simplification d’une réalité. Quand ont dit par exemple les français avec leurs baguettes de pains, c’est un cliché, mais c’est vrai! Les français mangent dix fois plus de pain que n’importe qui. J’ai mangé au restaurant hier soir à Vienne, il n’y avait pas de pain. En France ce serait impossible. Alors si vous dites en France on mange du pain, vous dites c’est un cliché, mais en même temps c’est la réalité. Donc la réalité à Cuba est que les gens effectivement aiment la musique, font de la musique … tout le temps, partout, nuit et jour, tout le monde, tout le monde, pas simplement dans les trois rues touristiques. Quand vous habitez dix kilomètres de la Havane le soir les gens du quartier font de la musique, le matin les gens font de la musique, à midi ils chantent, à 15 heures il y a une fanfare qui répète dans un parvis, quand les gens jouent au domino il y a toujours un qui chante à côté. Donc, c’est peut-être un cliché, mais c’est Cuba.

Il y a deux chapitres dans votre livre. Le contenu du premier, où vous même jouez le rôle du protagoniste, est que vous êtes invité à tenir un récit dans un centre de culture, et il y a un étudiant qui vous demande si vous allez faire un livre de Cuba pour raconter la vérité. Finalement vous restez un peu plus long et c’est qu’en rentrant en France que vous décidez d’écrire ce livre. Quelle était votre motivation?

Il n’y a rien de particulier. Ma première invitation à La Havane s’est réalisée à cause d’un ami qui s’y est installé. On en a parlé régulièrement cinq, six, sept, huit ans avant. Et puis un jour il est parti travailler à Cuba. Il m’a appelé. J’étais le voir. Il vit chez des habitants cubains depuis 15 ou 20 ans. Moi j’y ai passé un bon moment. Je suis revenu l’année suivante, j’ai été invité par l’ambassade de France à y présenter un livre que j’avais écrit sur le 11 septembre qui s’appelle „Le jour de mon retour sur terre“ (2003) Donc là, j’ai fait une conférence à la Havane pour faire station à Santiago, où bien j’avais passé dix jours à La Havane et dix jours à Santiago seul. A Santiago il y a quelques touristes, mais à part de cela il n’y a personne. J’y suis revenu en 2005 d’une manière plus touristique, en prenant une voiture et en faisant une tour de ville, tout en discutant avec les gens, en allant voir les villes, les lieux, les endroits, les concerts du soir, etc. Donc, il n’y avait pas de précautions, le livre s’est écrit au fur et à mesure. Et comme mon deuxième séjour a coïncidé avec une vague de répression dans l’île, et une vague de durcissement et que le hasard a fait que je suis arrivé au jour de l’arrestation, la durée de mon séjour a correspondu à la durée du procès. Quand je suis parti, les condamnations ont été annoncées. Voilà que je me suis attaché à un personnage qui est Raúl Rivero dans la réalité, donc je retrace sa vie en grande partie.

Mais vous, vous le laissez mourir ce personnage, ce poète à qui vous avez donné le nom Juan Valero …

Oui, parce qu’il a été forcé en exil. C’est une forme de mort quand même. Parce que maintenant il vit en Espagne. On lui a laissé le choix un moment donné soit de rester en prison, soit effectivement d’exiler. Vu son âge, sa famille, ses enfants, il a préféré partir en Espagne, ce que je comprends tout à fait.

Pour vous l’exil est une forme de mort?

Ah oui. Pour le livre c’était important que le personnage ne cède pas. Parce que certains personnages n’ont pas cédé. Par exemple Huber Matos, qui était un des premiers guérilléros avec Che Guevara et Castro. En 1959, devenu dissident il a été condamné à 35 ans de prison et il a fait 35 ans de prison. Il vit maintenant en Espagne, mais il a fait 35 ans. C’était un des premiers guérilléros, il était un des plus fidèles. Donc dans le livre c’était important, c’est un roman justement. C’est à la fois un récit, tout y est vrai, mais en même temps je me permets de tirer la vérité vers l’allégorie, vers la métaphore.

Il y a une critique, qui dit que ce ne sont pas quatre ans de service militaire à Cuba, comme il apparaît dans votre livre. Ce sont trois ans qui ont été réduits à deux ans maintenant.

Moi, je pense que ce sont quatre ans ...

Aujourd’hui en effet c’est deux ans… Au début de la révolution il durait quatre ans…

Vous avez recherché?

Oui, bien sûr. Tout est vrai.

Une autre critique se demande d’où vous avez toutes les informations, par exemples l’affaire d’échange de 20 000 médecins, dentistes et entraîneurs sportifs contre du pétrole avec le Venezuela? (Page 43)

AH, mais cela c’est Cuba. Ce sont des chiffres vérifiés de l’ambassade de France, vous les trouvez aussi dans tous les guides. Tout est vrai dans le livre. J’ai fait extrêmement attention à vérifier. Et puis surtout il se trouve que de Cuba il y a assez peu d’articles dans la presse internationale. En France pendant deux, trois ans, le service politique du monde a été extrêmement présent sur les terrains. Pour pleines de raisons les relations entre Cuba et l’Union européenne ce sont beaucoup arrangées en ce moment là. Quand les événements de 2003 se sont passés, cela a beaucoup choqué. Alors Raúl Rivero comme je le raconte, la plus grande partie de ses articles étaient publiés et repris en France ou en Espagne dans les années qui ont suivi, donc 2004-2005 au moment que j’ai écrit le livre et tout ce que Juan Valero dit est vrai, attesté par la presse française, attesté par reporteurs sans frontière, ce sont des infos de première main, tout est juste là.

Mais cette critique est venue d’une journaliste, qui se nomme experte de l’Amérique du Sud …

Oui, j’ai lu dans vos papiers, mais je ne la connais pas. Et sur Internet les gens mettent ce qu’ils veulent.

Ces, critiques, ça va m’énerver ces critiques, parce que les chiffres sont données de Cuba, ce n’est pas moi qui les donne. C’est à dire que Cuba depuis très longtemps a fait un effort très important d’échange de collaboration avec le Venezuela et avec la Colombie en particulier. Alors quand je dis que 20 000 médecins vont régulièrement annuellement travailler au Venezuela c’est le chiffre cubain. C’est vrai.

Le conflit élucidé avec l’exposé annoncé contre l’impérialisme américain qui apparaît un peu comme un service involontaire donné au régime cubain se vaporise finalement sous la pression du besoin de culture. La réponse envers ces problèmes difficiles avec le besoin de culture, n’est-elle pas un peu facile?

Oui, mais cela n’empêche pas … moi je ne suis pas quelqu’un d’idéologique. Je n’ai pas d’idéologie. Quand je vais à Cuba je ne suis pas pour ou contre la révolution. Je ne suis pas communiste ou anticommuniste.

Je suis un citoyen, quand je me promène quelque part, je fais attention à ce qui se passe autour de moi. Là, à Vienne, j’ai passé deux heures dans le quartier. Je ne suis pas allé visiter le pavé. Je suis resté dans le quartier, qui est le juif, qui est le polonais, le tzigane. Je peux vous dire le type de gens que j’ai vu. Ce n’est pas le Vienne qui est derrière le fleuve. C’est un autre Vienne. Donc, si je suis là et que je dis que par exemple qu’il y a des communautés de tziganes extrêmement importantes dans ce quartier qui ont sans doute un niveau de vie extrêmement faible et qui je pense ont toutes sortes de déshérence des pays de l’est, et qui sont au bord des capitales comme Vienne et Budapest ou autre, ce n’est pas ce que j’imagine, c’est ce que je vois.

Alors quand je me suis retrouvé à Santiago devant des étudiants extrêmement attentifs, heureux de voir quelqu’un qui vient de si loin, content de parler culture, payé par l’ambassade de France, sous la protection du régime cubain, moi autant que citoyen je me dit: „Didier, c’est un petit peu facile.“ Tout est simple.

Mais la question de conscience est beaucoup plus longue que sa réponse.

Mais il n’y a pas de réponse. Quand je suis revenu il m’a semblé important de faire un récit, je raconte à la manière banale. Je n’ai pas inventé un Cuba que je ne connais pas. Donc Cuba vous apparaît quand vous marchez. Je suis un grand marcheur […]

J’ai des amis communistes en France qui pratiquent une librairie communiste et effectivement il y a des gens qui trouvent le livre et le titre insupportable. Mais ce n’est pas le livre qui est insupportable, c’est le fait que je ne partage pas l’idéologie.

Tout le monde parle d’un titre provocateur. Moi, je trouve le titre plutôt amusant.

C’est un titre percutant „Castro est mort!“. Et puis c’est la réalité. La révolution, elle est morte.

Vous aimez les livres. Mais vous n’aimez pas les livres épais. Vous dites qu’il y a trop de mots dedans. Êtes-vous un minimaliste?

Oui, j’aime bien les choses déliées et percutantes. Je n’aime pas les choses trop descriptives, surtout dans notre époque. Je comprends que le roman du 19ème siècle, le roman russe, par exemple, et le roman français étaient extrêmement épais, parce qu’ils avaient une valeur encyclopédique. Il se trouve qu’aujourd’hui avec l’Internet, avec ces images, avec la photographie et la télévision je pense que - ce n’est pas la vérité, il y a d’autre vérités qui sont aussi valables, il y a des gros livres très bons - mais pour ma part je trouve que c’est bien si un livre est vraiment allégorique. C’est un peu comme l’écume, comme le pic de l’iceberg. Que la partie apparente, la partie du texte soit bien plus petite que la partie à comprendre. C’est ça ma théorie.

Vous écrivez aussi des pièces de théâtre. L’affaire Natascha Kampusch vous a inspiré. La pièce est-elle terminée?

Oui, la pièce est terminée, elle est traduite en allemand et je cherche un endroit pour la faire jouer.

En Autriche?

J’essaye, j’essaye.

Le titre?

Ça s’appelle „Moi, Léa, 13 ans.“

Quelle était votre motivation?

J’aime bien les gens qui sont enfermés. Je crois que nous vivons dans un monde pédophagique.

?

Pédophage. Pédo comme enfant, phage comme manger. C’est à dire un monde qui mange ses enfants et qui se nourrit de la chair fraîche, de la chair jeune.

Ce qui m’a intéressé c’était de montrer qu’une personne comme Natascha Kampusch était autant mangé par son bourreau que par immédiat …. En fait c’était le monde qui était pédophagique. Et pas simplement quelques pervers perdus à droite ou à gauche en amour sordide. La pièce travaille sur deux parties. La première montre Natascha Kampusch petite, c’est à dire Léa, une victime qui domine intellectuellement son bourreau. Dans la deuxième partie elle croit qu’elle domine les caméras mais qu’évidemment ce sont les caméras qui la dominent. Donc ce n’est pas seulement une description de l’affaire Kampusch. C’est l’ambivalence.

Alors j’espère de la voir bientôt en Autriche et je vous remercie beaucoup.

Didier Goupil: Né 1963 à Paris, vit à Toulouse. Écrivain, scénariste, conseiller dramatique et enseignant. Publication de la prose depuis 1995. Pour son premier œuvre le volume de récits «Malterre» il a obtenu le Prix Thyde Monnier de la Société des Gens de Lettres et le Prix Cino del Duca. «Femme du monde» (Éditions Balland 2001, nouvelle édition Le Serpent à Plumes 2003) a été son premier roman traduit en allemand «Endstation Ritz» (Haymon Verlag).